De l'universalité d'un mythe

 

Christine Dabague nous offre Zeinab et le fleuve, l'un des trop rares longs métrages libanais à être présenté aux spectateurs français.
En compétition.

 

Le public s'attendait à un documentaire peut-être, des images d'un Beyrouth à reconstruire, une vision de l'avenir libanais, sa vision du Liban sans doute.
Le film commence par l'évocation d'une Babel libanaise, avec ses fastes, son effervescence, sa magie, ses milles et une nuits. Une douce voix, chaude et sensuelle nous berce et nous enivre. C'est le début d'un conte.
Deux musiciens kurdes vont nous chanter la tragique histoire de Zeinab. Le conte va s'installer. Il sera régulièrement ponctué par des fragments de documentaire sur l'un des derniers tripots de Beyrouth. Au premier plan, des reliefs de mézzés. Derrière, un boucher hachant d'une manière presque obsessionnelle sa viande pour un kébbé nayé. Le public danse, la viande est crue. Ces éléments énigmatiques et obsédants vont dérouter plus d'un spectateur. On pouvait s'attendre à un film sur le Liban, il n'en est rien. Bien sûr on y découvre le Chouf et ses lumières si particulières. L'orange, le bleu, le mauve. Bien sur il y a des Libanais. Bien sûr il y a le Liban, mais les Libanais pourraient être Afghans et le Liban pourrait être bosniaque.
Beyrouth, Place des Martyrs, 1994
Le Chouf, 1994
La réalisatrice nous projette dans un mythe dont les éléments symboliques semblent universels. Le film nous entraîne à suivre la déshérence d'une femme traumatisée par la mort de son unique fils, assassiné pour quelques pièces d'or. Et l'on devient témoin de cette blessure béante que Zeinab cherche à refermer. On assiste muet à son anéantissement. Elle sombre dans la folie, se mutile, s'échappe, cherche. Zeinab marche pieds nus dans la montagne et l'on rencontre avec elle l'ivresse, la trahison, la lâcheté des humains. Elle ira jusqu'au sacrifice pour se libérer du mal et plongera dans le fleuve pour y trouver la délivrance.
Zeinab n'est pas différente des autres mères. Elle est l'âme des peuples qui s'entre-déchirent pour le pouvoir et pour l'argent. Elle est profondément humaine. En fait, elle ne marche pas au milieu des éléments, elle danse, et sous ses pieds la terre est chaude.
La réalisatrice ne nous dit pas les choses, elle nous les fait sentir, elle nous les fait toucher. C'est un film intime, charnel, tactile, presque sensuel.
On ne peut pas accuser Christine Dabague d'avoir réalisé une oeuvre hermétique ou trop théâtrale. Le crime est théâtral et la souffrance humaine. On peut simplement reprocher à beaucoup d'entre nous de s'être satisfaits de quinze années d'images d'un Liban balafré. Beaucoup n'ont pas cherché à comprendre, beaucoup n'ont pas voulu comprendre. Pourtant la douleur des Libanais n'est pas différente de la nôtre.